Du géopolymère dans les anciens textes Egyptiens ?

Pour l’institut Géopolymère, certains textes égyptiens indiquent que les anciens égyptiens possédaient la connaissance de la pierre de synthèse géopolymère. Ces textes seraient la fresque de Ti, la stèle d’Irtysen C14 du musée du Louvre et la stèle de la famine.

Rappel concernant les géopolymères

Les géopolymères sont des chaînes ou des réseaux de molécules minérales. Les matières premières utilisées sont principalement des minéraux d’origine géologique, d’où le nom « géopolymère« . Le professeur Joseph Davidovits (ingénieur chimiste) a inventé le terme en 1978 dans le cadre de recherches qu’il a commencé en 1972 et qui ont notamment conduit à la création en France d’un « Institut Géopolymère« . Le professeur, qui n’est pas égyptologue, soutient que les pyramides ainsi que toutes les réalisations Egyptiennes antiques en calcaire sont composés de pierres moulées à base d’agrégats de calcaire. Pour tenter de démontrer cela, une partie de son argumentaire repose sur certains textes de l’ancienne Egypte montrant selon lui que les anciens Egyptiens connaissaient et utilisaient le procédé de la pierre de synthèse. Nous allons voir véritablement ce qu’il en est.

La fresque de Ti

La fresque de Ti, selon l’institut Géopolymère [1], illustre le travail des sculpteurs d’une statue en bois, la confection d’une statue en pierre et le mélange de produits chimiques dans des vases. Mais quelle est cette fresque ?

L’image de cette fresque n’est pas fourni par leur site web. On ne sait donc pas de quelle fresque il s’agit car cette fresque, quelque soit l’interprétation qui a pu en être faite, fait parti d’un nombre considérable de fresques dans le mastaba de Ti qui était un haut fonctionnaire sous la Vème dynastie. Les scènes sur les murs du mastaba représentent des activités diverses de la vie quotidienne de l’époque telles que la chasse, la pêche, l’élevage, le recensement des troupeaux, la moisson,  la fabrication du pain et de la bière, l’orfèvrerie, la sculpture, la menuiserie…

Selon cet institut [1], cette fresque représenterait le façonnage d’une statut en pierre synthétique avec les signes hiéroglyphes représentant l’action de « synthétiser », « faite de main d’homme ». Or, une statue « faite de main d’homme » peut aussi  et surtout vouloir dire que cette statue a été sculptée. Elle n’est pas forcément le résultat d’un moulage quelconque. C’est faire un gros raccourci que de considérer une statue faite de main d’homme comme si elle avait forcément été synthétiser.

Malgré l’absence de cette fresque en image dans l’argumentaire de l’institut sur leur site web, il est fort probable que la fresque dont il est question soit celle-ci. A ma connaissance, il n’y a pas d’autres fresques dans le mastaba de Ti représentant des sculpteurs.

Atelier de sculpture - Mastaba Ti
Mastaba de Ti – Chapelle mur sud (source)

Pour rappel, selon cet institut, cette fresque illustre le travail des sculpteurs d’une statue en bois, la confection d’une statue en pierre et le mélange de produits chimiques dans des vases. A première vue, sans connaissance des outils Egyptiens, ni de l’écriture hiéroglyphique, on pourrait être relativement d’accord avec cette description de la fresque ci-dessus. En fait, les outils des sculpteurs et les écritures qui les surplombent apportent plus de précisions [2]. Pour cela, on va débuter à gauche de cette fresque.

Sur la première statue, le sculpteur de gauche travaille avec une herminette qui est un outil de travail du bois. Au dessus de celui-ci, les hiéroglyphes précisent qu’il est menuisier. Quant au sculpteur de droite, celui-ci travaille avec un ciseau à bois.

Concernant le deuxième statue, deux artisans sont en train de polir une statue dont on ignore si elle est en bois ou en pierre.

La troisième est clairement une statue en pierre, les deux sculpteurs travaillant dessus avec des hachettes de pierre.

Enfin, deux artisans travaille au forage de deux vases en pierre [3][4]. Les hiéroglyphes précisent que les deux artisans sont occupés à « faire le travail (de fabrication) de vases« . une autre écriture peut se lire « faire le travail par le foreur« . Ces deux personnages ne sont donc pas en train de mélanger des produits chimiques ou autres.

Il n’y a donc dans cette fresque aucune indication qui puisse nous faire penser que les Egyptiens durant la Vème dynastie avaient la connaissance des pierres de synthèses ou géopolymères.

La stèle d’Irtysen

Selon cet institut [1], la stèle d’Irtysen présente la technique de fabrication des statues en pierre synthétique (« Pierre coulée »).

Irtysen était le chef des artisans ainsi que scribe et sculpteur sous le règne de Nebhépetrê Montouhotep durant la XIème dynastie (de -2033 à -1982).

stele_Irtysen
Stèle d’Irtysen (source)

Le musée du Louvre donne une description partielle [5] de cette stèle sur son site web. La partie qui nous intéresse particulièrement est celle où Irtysen nous dit : « Je connais les secrets des hiéroglyphes et le déroulement des rituels de fête, je maîtrise toute la magie et rien ne m’en échappe; je suis un artisan expert en son art, éminent par ses connaissances. Je connais les techniques de la coulée (?), la pesée selon les règles, les techniques d’assemblage telles que chaque élément soit bien en place« . On peut donc lire ici qu’Irtysen maîtrise les techniques de la coulée mais on ne sait pas de quoi comme le point d’interrogation le précise. De plus, cette interrogation peut aussi émettre un doute sur la bonne compréhension du hiéroglyphe lui-même qui est traduit par : « la coulée » ?

Il est en effet légitime de se demander si « la coulée » est une bonne traduction. L’égyptologue Bernard MATHIEU propose dans une publication [6] une traduction de cette stèle. Sa traduction, même si elle ressemble pour beaucoup à celle du musée du Louvre, propose une traduction différente du passage qui nous intéresse : « Je connais le secret des hiéroglyphes et la conduite des cérémonies de fêtes. Toute forme de magie-hékaou, je l’ai acquise sans que rien ne m’en échappe. Je suis un artisan qui excelle en son art, passé maître dans sa science. Je connais les proportions d’une représentation, les calculs d’arithmétique, comment retrancher ou ajouter selon qu’elle déborde ou s’avère trop petite, jusqu’à ce que le corps trouve sa (juste) place ». Il n’est ici plus question de coulée.

Quant à la dernière partie du texte de cette stèle qui fait allusion, dans la traduction fournie par le site web du Louvre [7], à des produits qui fondent, ces produits sont des pigments et non des pierres : « Je sais faire des pigments, des produits qui fondent sans que le feu les brûle, et en outre insolubles à l’eau ». L’égyptologue Bernard Mathieu donne une traduction [6] se rapprochant de celle proposée par le Louvre : « Je connais (l‘art de) fabriquer les pâtes colorées et les enduits (?), sans laisser le feu les brûler et, de plus, insolubles à l’eau« .

Dans le texte de cette stèle, le chef artisan Irtysen, qui est aussi scribe et sculpteur, ne décrit pas la technique de fabrication de statues en pierres synthétiques, ni même une technique en particulier mais énumère simplement les différentes techniques qu’il maîtrise, celle des pierres de synthèse n’en faisant manifestement pas partie.

Par conséquent, rien ne nous permet d’affirmer, en consultant cette stèle d’Irtysen, que cet artisan maîtrisait la technique de la pierre coulée (géopolymères).

La stèle de la famine

Selon ce professeur [1], cette stèle contient des hiéroglyphes désignant soit des roches et des minéraux, soit leurs procédés de transformation.

La stèle de la famine est un texte de 32 colonnes gravé sur un rocher de l’île de Séhel. Cette stèle évoque une famine qui s’installa durant 7 années à cause d’une perturbation de la crue du Nil.

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Stèle de la famine (source)

Ce professeur s’est surtout intéressé aux colonnes 11 à 19, ces colonnes évoquant des roches et des minéraux. Vous trouverez dans les sources un document [8] que j’ai réalisé où je compare sa traduction de ces quelques colonnes avec les traductions de trois égyptologues. Ici, je ne vais pas développer l’ensemble du texte car ce serait trop long mais rester essentiellement sur certaines parties qui touchent aux roches et aux minéraux, et sur lesquels le professeur a fait sa propre interprétation.

Colonne 11 : La traduction de ce professeur donne : « contenant tous les minerais, toutes les pierres (érodées) écrasées (agrégats appropriés pour l’agglomération) alors que pour les égyptologues cette traduction donne : « avec des pierres précieuses et des pierres de carrière ». Dans les traductions des égyptologues , il n’est aucunement mentionné que ces pierres sont érodées ou des agrégats. En gros, cet ingénieur chimiste rajoute ce qui l’arrange pour démontrer sa théorie.

Colonne 13 : La traduction proposée donne : « ... là au milieu de la rivière une place de relaxation pour chaque homme qui traite les minerais sur ses deux côtés » alors que pour les égyptologues cette traduction donne : « ... un lieu de détente pour chaque homme travaillant les pierres des deux côtés« . Cette traduction évoque le fait de « traiter les minerais » car dans la colonne 12, il est fait allusion à des produits chimiques alors que la traduction reste sur le terme de « produits » sachant que ceux-ci sont pourtant clairement énumérés et qu’il n’y est aucunement question de produits « chimiques ».

Colonne 19 : Pour la traduction de cette colonne, ce scientifique propose : « Je te confère des minerais sur des minerais … depuis la création personne ne les a jamais travaillé (pour faire la pierre) pour construire les temples des dieux ou reconstruire les temples ruinés…« alors que pour les égyptologues cette traduction donne : « Je te donne pierres après pierres qui n’avaient jamais été trouvées auparavant et sur lesquelles on n’avait pas travaillé, pour la construction de temples, la reconstruction de ruines, l’incrustation des yeux des statues« . En fait, ces pierres sont clairement des pierres de carrière pour construire des temples ainsi que des pierres précieuses pour par exemple l’incrustation des yeux des statues. Il n’est pas question ici de travailler des minerais pour en faire de la pierre afin notamment de construire des temples.

Conclusion

En ce qui concerne ces trois textes, on y trouve donc absolument aucune trace d’une connaissance quelconque de pierre de synthèse chez les Egyptiens de l’époque antique.

Notes et Sources

[1] Les textes hiéroglyphiques sur le site web de l’Institut Géopolymère , chapitre B du FAQ.

[2] Paroi sud de la chapelle du mastaba de Ti (registre 3)

[3] Fabrication d’un vase en pierre avec les outils de l’Egypte Antique , 2003.

[4] Vidéos : Test du procédé de forage d’une pierre en granit et fabrication d’un vase en pierre dure de nos jours montrant que cela est possible avec des outils rudimentaires.

[5] Description partielle de la stèle d’Irtysen sur le site du musée du Louvre.

[6] Irtysen, le technicien (stèle Louvre C14), publié par Bernard Mathieu (2016).

[7] Traduction de la dernière partie de la stèle d’Irtysen proposée par le musée du Louvre.

[8] Traductions en français des traductions hiéroglyphiques ci dessous des colonnes 11 à 19 de la stèle de la famine – Archéologie Rationnelle (2019)

Traduction de la stèle de la famine par le professeur Joseph Davidovits (vers 2012-2015)

Traduction de la stèle de la famine par l’égyptologue Günther Roeder (1923)

Traduction de la stèle de la famine par l’égyptologue Paul Barguet (1953)

Traduction de la stèle de la famine par l’égyptologue Miriam Lichtheim (1973)

Présence de Djoser et Imhotep (IIIème dynastie) dans le récit de la stèle de la famine datant probablement du début de l’époque ptolémaïque. (2004)

Vidéo YouTube « Archéologie Rationnelle » associée à cet article

 

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